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2018 : Mille Dioux, quelle année !

C’est l’année de tous les « super-relatifs ». Car après trois jours intenses de dégustation, l’impression laissée par le millésime 2018 est très mitigée. Quelques ratages, quelques perles mais pas beaucoup, une réussite du Médoc sauf une partie de Margaux, une hétérogénéité de la rive droite, des Graves blancs insuffisants et des rouges plutôt bons, tout me fait dire que l’année 2018, c’est l’année du dégustateur !

Car cela fait longtemps que l’on avait eu autant de différences au sein des appellations, à part Pauillac et Saint-Estèphe. Le climat humide de juillet a perturbé le cycle végétatif et engendré une véritable prolifération de mildiou, heureusement combattue par les domaines conventionnels, malheureusement catastrophique pour les domaines bio et autres.

Le Merlot ayant particulièrement souffert, alors que le Cabernet Franc et le Petit Verdot résistaient plutôt mieux, certains domaines ont aussi des assemblages atypiques. L’essentiel reste la qualité intrinsèque du vin, les façons de faire un bon vin étant multiples.

Démarrons par Pomerol : 3 dégustations, quelques très bons vins mais un peu toujours les mêmes (Gazin, La Conseillante), de bonnes surprises (Nénin, La Fleur de Gay) et un vin spectaculaire : Certan de May. Quelques déceptions aussi : Petit-Village, Beauregard…

Toujours en rive droite, la galaxie Ausone se porte bien mais on voit que l’année fut difficile : Moulin St-Georges est une grande réussite, Ausone et La Chapelle tiennent leur rang. Chez Cheval Blanc, le Petit Cheval est peu passionnant, en revanche Quinault L’Enclos reste une valeur sûre, et Cheval-Blanc est réussi. Quant à Angélus, impossible de le goûter. On y avait le sens de l’accueil, avant. Donc direction les Saint-Émilion et une belle série de réussites : Yon-Figeac, Villemaurine, Ripeau, St-Georges-Côte-Pavie, Grand-Corbin-Despagne… de très bons vins qui seront certainement à des prix raisonnables. Enfin, parmi les premiers, Clos-Fourtet et Figeac dominent largement. Canon les rejoint presque.

Franchissons la Garonne et nous voici, presque sans bouchon (ce qui est un comble) à Léognan. C’est ici le royaume du blanc de Bordeaux. Malheureusement, ce ne sera pas le cas, les rares réussites (Carbonnieux, Olivier, La Tour Martillac et surtout Domaine de Chevalier) ne compensent pas les vins où le jus d’ananas est plus présent que le jus de raisin. Qui dira tout le mal que l’excès de sauvignon et le fût de chêne font au blanc de Bordeaux ? Bon, je me dévoue… Les rouges sont plus attrayants, avec de belles réussites comme les châteaux déjà cités, ainsi que Smith-Haut-Lafitte, Larrivet-Haut-Brion, Picque-Caillou… Toujours pas de Haut-Bailly à l’Union, c’est l’Angélus de la rive gauche… Par contre, à Haut-Brion, qui aurait pourtant des raisons d’être snob, l’accueil est toujours formidable. Les blancs souffrent du millésime, comme partout, sauf le merveilleux Clarté qui est l’assemblage de toutes les parcelles de Sémillon des deux châteaux, visiblement : 80% de la cuvée ! Résultat : c’est très bon. Et ça n’a pas goût de fruits exotiques. Quant aux rouges, les deux seconds vins font le job, bien faits et charmeurs, un peu plus costaud pour le Clarence, et le château Haut-Brion s’en sort très bien, mais la Mission déçoit un peu. On ne peut être déçu que par ce qu’on aime vraiment !

Quittons Pessac et les souvenirs familiaux qui s’y rattachent, et partons hardiment vers le grand Nord :  Saint-Estèphe ! Calon-Ségur, une des plus belles progressions de ces dernières années, nous livre trois vins excellents, Montrose se maintient au sommet, et Cos-d’Estournel repart à la hausse, après quelques millésimes sans intérêt (tout dans la recherche de puissance, rien pour le vin). Mais pourquoi s’obstiner à produire du vin blanc plat et sans grâce ? Arrachez vite tout ça et qu’on n’en parle plus.  À Saint-Estèphe, il y a aussi un assez bon Cos-Labory, un très bon Phélan-Ségur, et surtout un fantastique Lafon-Rochet. Si les Dieux se moquent des hommes, c’est bien en 2018 qu’ils l’ont fait, suite à la renonciation de ce château au dogme du Bio, et aux tombereaux de fumier qu’il a reçus dans la presse et sur les réseaux sociaux : peu de récolte pour les vins bio ou biodynamiques, et un vin extraordinaire pour Lafon-Rochet, le renégat.

Hardiment, changeons de climat et faisons les cinquante mètres qui nous séparent de Pauillac. Ah ! le beau vignoble que voilà ! Épargné par les ennuis, sauf à Pontet-Canet, il déroule une agréable litanie de vins réussis, parmi lesquels nous choisirons en particulier Pichon-Baron, Clerc-Milon, comme d’habitude, Duhart-Milon, dont le nouveau style s’est épanoui en 2018, Lafite-Rothschild, le meilleur depuis bien longtemps, et Mouton-Rothschild, peut-être le meilleur vin du Médoc (je n’ai pas goûté Latour, par ma faute je tiens à le préciser). Bref, cette année les Rothschild ont fait sauter la banque.

À Saint-Julien, le cru souvent le plus homogène, de bons vins classiques, dont je ressors en particulier Branaire-Ducru, Lagrange et Gruaud-Larose, pour moi le meilleur, dans sa stupéfiante régularité depuis dix ans. Je vais arrêter de le dire, ils vont augmenter les prix !

Pour Margaux, ce sera plus dur. Plus dur de dire la (ma) vérité. Ce que tout le monde chuchote, sans oser l’écrire, mais c’est un service que l’on rend aux producteurs que de ne pas leur cirer les bottes en permanence. Château Margaux ne fait plus rêver ! je ne parle pas du blanc, qui est largement aussi bon qu’un Saint-Aubin premier cru (à 25€), je parle du grand vin. De ce vin magique qui, depuis 1978, nous fait toucher la perfection du doigt, et du gosier. Ce vin qui, en 1982, 1983, 1985, 1986 a produit des vins d’anthologie, mais aussi en 1996, 1998, même en 1999… et encore 2005, 2010… et aujourd’hui c’est évidemment toujours bon, mais il lui manque ce supplément d’âme que ses maîtres de chai lui insufflaient. Passons à Palmer : peu de vin (10 hl/ha), mais du sublime. Qui vaudra son poids en or massif. Durfort-Vivens, qui a connu les mêmes problèmes, est bon, ainsi que Rauzan-Ségla, Malescot-St-Exupéry, Prieuré-Lichine, mais le plus impressionnant c’est Siran, non classé mais dont la qualité est largement à ce niveau, les prix aussi d’ailleurs.

Conclusion : un millésime passionnant pour l’amateur, à mettre dans sa cave absolument, mais en choisissant bien !

Le Palmarès : pas de déception majeure, donc un palmarès tout en compliments

Hors de prix                                                                                                      Les vins qu’on peut boire 

Mouton-Rothschild                                                                                       Lafon-Rochet

Lafite-Rothschild                                                                                            Gruaud-Larose

Ausone                                                                                                              Certan de May

Palmer                                                                                                                Siran

Cheval-Blanc                                                                                                    Moulin-Saint-Georges

Haut-Brion                                                                                                        Figeac

                                                                                                                              Clerc-Milon

                                                                                                                              Clos-Fourtet

                                                                                                                              Smith-Haut-Lafitte

                                                                                                                              Duhart-Milon

                                                                                                                              Blason de l’Évangile

                                                                                                                              Quinault-L’Enclos